Bernard Delarue, bonjour. Merci de nous accorder cette interview. Vous gérez le Ring olympique Compiègnois avec votre frère jumeau qui est aussi entraîneur. Vous partagez votre passion et votre quotidien. Alors, nous vous avons préparé une interview « twins ».
Commençons au début de l’histoire, lorsque vous deux étiez enfants, aviez-vous les mêmes peurs, vous protégiez-vous mutuellement de vos peurs ?
Oui. Nous étions inséparables et notre grande peur était d’être séparés. Ce qui n’a pas manqué de se produire et que nous avons mal vécu lors de notre scolarité. Les autres peurs, nous les affrontions ensemble, et c’est toujours le cas aujourd’hui. Même pour le confinement, nous avons voulu être ensemble. Nous avons toujours pratiqué les mêmes sports, fréquenté les mêmes amis. Nous n’avons pas besoin de parler pour nous comprendre, nous savons toujours ce dont l’autre a besoin.
Le moment où vous avez découvert qu’être deux vous menait plus loin que si vous montiez sur le ring seul
Dès le collège. Et dès nos débuts dans la boxe. En nous entraînant ensemble, nous avons réalisé que chacun pouvait porter ce regard distant qui lui permettait de devenir le coach de l’autre. Rapidement, nous avons commencé à être des têtes d’affiche à Compiègne, moi à treize ans avec le karaté et la boxe américaine, mon frère à la boxe anglaise. Mon frère est allé jusqu’en demi-finale des Championnats de France et a perdu devant celui qui a été sélectionné pour les Jeux de 2016. Quant à moi, c’est une grippe qui m’a empêché de me qualifier aux Championnats de France…
Et la peur, dans tous ces moments
Lors du premier combat, la peur n’est pas là, car on ne sait pas ce où on va. En revanche, la deuxième dois, elle est bien là, en particulier lorsqu’on arrive dans le vestiaire, ce moment de solitude où l’on doit se concentrer et où on se demande ce qu’on fait là… C’est à ce moment que l’adrénaline arrive, et finalement, c’est cela que l’on cherche. On veut gagner. On passe par des phases dingues de frustration, de peur, de joie… Puis, avec l’expérience, on apprend les gestes qui permettent de lutter contre la peur et de se concentrer. Avant et sur le ring. On cherche à reproduire ce geste parfait, proche de la chorégraphie, de la danse. On n’est pas dans la violence, mais dans la technique.
La dernière action que vous n’avez pas menée parce qu’elle était impossible à mener ensemble ?
La maladie nous a séparés, lorsque mon frère a été touché par la leucémie. Et même si j’étais avec lui pour traverser cette épreuve, c’est tout de même lui qui a vécu cette maladie… C’est cette épreuve qui nous a le plus séparés.
En dehors de ça, nous avons les mêmes objectifs et la même vision des choses.
Le moment où vous avez réalisé que votre binôme et vos capacités pouvaient vous mener dans des aventures hors normes
C’est avec le Ring de Compiègne, lorsque, en 2014, nous avons réalisé que nous étions le premier Club de France. À ce moment, nous avons ressenti ce besoin de résultats et le fait que nous étions capables de mener ces jeunes très haut. D’ailleurs, depuis, nous sommes toujours le premier Club, et nous en sommes fiers.
L’aventure la plus folle, celle qui a exigé le plus de dépassement de vous, celle dont vous êtes le plus fier
C’est aussi ce projet de Club qui a été le plus exigeant. Car, même si Philippe m’a rejoint assez vite, au début j’étais seul. Alors que j’ai l’habitude de ce duo. Même sur le ring, lorsque je boxe, je sais qu’il ressent mon stress et s’il me dit d’envoyer un coup, je l’entends au milieu des autres voix.
Le mental est indissociable de la pratique de la boxe, de celui d’entrepreneur aussi, une préparation est-elle nécessaire ?
Bien sûr. Nous travaillons avec des entraîneurs, dont Laurent Hernu par exemple pour la boxe anglaise. En fait, la préparation mentale débute avec la préparation physique. Il faut être prêt. Tout passe par la rigueur et le travail. C’est ce qui permet d’être positif, d’avoir le culot et l’envie de réussir.
Lorsque j’ai eu envie de monter sur le ring Olympique, et de faire partie de l’équipe de France, j’ai tout fait pour. J’y suis arrivé grâce à la rigueur de plusieurs années de travail… La réussite arrive avec les efforts. C’est aussi ce qui évite le stress, car avec l’expérience et le travail, on arrive à mettre en place ses rituels. Par exemple, moi, la veille, je sais qu’il y a la pesée, le matin même, je reproduis toujours les mêmes gestes, parfois à midi je vais courir avant de déjeuner en famille. Après, je m’isole, je revois des vidéos de boxe pour me remettre les schémas en tête.
Pour notre Ring Olympique, nous appliquons les mêmes méthodes : le travail et la rigueur. Notre objectif étant d’avoir des résultats pour nos adhérents, comme avec Marie-Hélène, notre championne de France dans la catégorie professionnelle.
Avez-vous un rituel « twins » que vous pourriez nous décrire qui vous permet de vous mettre en condition
Oui, évidemment, c’est avec mon frère que j’effectue les derniers gestes, c’est le dernier auquel je parle, le dernier regard avant le combat est pour lui et c’est souvent lui qui fait mon bandage avant d’enfiler mes gants.
Alors, pour vous, tout cela semble parfaitement naturel, et si l’on voulait identifier cinq points essentiels pour se lancer dans une aventure et être au sommet, quels seraient-ils ?
En effet, j’ai déjà entendu cette petite phrase « j’aimerais bien faire de la boxe mais je n’ose pas »… Alors si je devais donner cinq conseils :
1. La peur est là. Mais il faut lever les barrières, que ce soit le regard des autres ou son propre regard. Il ne faut pas se sous évaluer.
2. Savoir que parfois tomber permet de connaître ses limites et de recommencer en étant plus performant.
3. S’organiser. Prévoir des étapes, prendre le temps et placer les différentes étapes nécessaires pour éviter les frustrations
4. Se préparer techniquement avec rigueur pour arriver à acquérir les bons réflexes
5. Savoir s’entourer. Si on n’a pas de jumeaux, il faut en trouver un 🙂