Ronan Chabot, bonjour. Vous êtes à la tête du groupe automobile RCM qui dépasse le milliard d’euros de CA, vous êtes aussi un sportif accompli, en particulier en planche à voile, vous avez participé dix-huit fois au rallye Paris-Dakar… Apparemment, vous êtes sur tous les fronts, alors nous vous avons préparé une interview « Tout terrain », prêt ?
Allez…
Commençons dans l’enfance : faisiez-vous partie des casse-cou ? Ces enfants qui se lancent tête la première avant même de réfléchir ?
En effet, j’étais à l’école du sport. Je vivais en bord de mer, assez tôt j’ai fait de la planche à voile. J’ai participé aux Championnats de France, puis je me suis mis au fun board. En 1984, j’ai égalé le record du monde de vitesse. J’avais alors obtenu un budget de sponsoring avec la bière 33 Export. J’ai fait les tournées de plages en arborant les couleurs de la marque, c’était comme si j’avais déjà ma petite entreprise. J’avais un bon niveau national, puis au fur et à mesure, j’ai participé à quelques manches de la Coupe du Monde.
Mais à un moment, j’ai dû commencer à construire mon avenir, alors j’ai fait une école de commerce, rencontré des gens, fait des stages, puis il y eut le service militaire mais ils ne m’ont pas gardé.
J’avais en tête l’idée de monter une société de service dans le secteur de l’agro-alimentaire, mais mon père, qui détenait une concession automobile, m’a demandé de l’aider car un de ses vendeurs était malade. J’ai accepté en remisant mon idée de côté pour un moment. Puis, j’ai ouvert une première concession Toyota aux Sables d’Olonne, et une deuxième… En 2005, j’ai racheté la société et je suis passé d’une dimension locale à une dimension régionale. Et aujourd’hui, le modèle « garage père et fils » est en pleine évolution : nous devons entrer dans l’ère du digital, participer activement à la réécriture du métier. Penser aux concessions de demain pour qu’elles soient adaptées à nos enfants. Créer l’Apple Store de la voiture. Pour cela, nous n’avons aucun mode d’emploi, notre seule alliée est notre agilité. Les difficultés se situent en particulier dans les finances, car tout cela nécessite des investissements. Il nous faut trouver ceux qui nous feront confiance, s’entourer des bons comptables et commissaires aux comptes… Bosser.
Au début de notre aventure, nous étions dix. Puis nous avons atteint la taille critique des cinquante personnes, où le fait d’être proche de chacun et de tout maîtriser devient complexe. L’entreprise créée bascule vers autre chose… Mais on apprend beaucoup de cette phase, et ça, c’est vraiment grisant. Sauf que c’est aussi une période où l’on se sent très seul avec une sensation d’avoir la tête dans une machine à laver. L’insouciance devient un vieux souvenir et la disponibilité aux autres disparaît. Pour moi, c’ était une véritable épreuve car je n’avais plus de temps pour voir mes amis – et j’avais une sacrée bande – aucun d’eux ne comprenait ce que je traversais.
À quel moment avez-vous découvert que vous n’aviez pas peur de vous lancer et que vous aviez ce besoin de vous dépasser ?
Je ne vois pas cela comme une capacité, pour moi, c’est en lien avec l’équilibre. Je pense que l’école du sport procure une bonne immunité contre la peur. Lorsque les sélections pour la Coupe de France se déroulent en plein hiver en Bretagne et qu’il faut repartir en pleine nuit, ça forge un bon mental. Surtout si les parents sont contre… Cela permet aussi de se connaître et d’aller plus vite. Je crois d’ailleurs que j’ai toujours été assez rapide mais surtout, je refuse d’avoir des regrets, alors j’y vais, je réalise mes rêves.
La dernière action que vous n’avez pas menée parce qu’en terrain inconnu ?
Je ne me lance pas vraiment dans l’inconnu. Quand je ne sais pas faire, je prends des gens qui savent. Je m’entoure. Que ce soit pour la comptabilité ou pour la communication sur les réseaux sociaux, ou encore pour la construction, je vais chercher les talents où ils sont. Ils me nourrissent, d’une part, par leur savoir, mais aussi par le regard frais qu’ils portent sur la société. Ça ne marche pas forcément du premier coup, mais ce n’est jamais totalement négatif. On apprend et on recommence.
Le moment où vous avez réalisé que vous aviez une grande capacité d’adaptation face à l’inconnu alors que la plupart des gens restent dans leurs zones de confort ?
Je m’ennuie vite. J’ai besoin de ce rythme de vie soutenu. Au moment du confinement, j’ai failli devenir fou… D’autant plus que le mois de mars, dans le milieu automobile est l’un des plus importants. Nous étions en Journées Portes Ouvertes, les campagnes publicitaires étaient lancées. J’étais au restaurant en famille lorsque nous avons appris qu’il faudrait fermer dès le lendemain. Nous avons réuni un comité de crise pour organiser la fermeture et faire en sorte que dès le lundi soir tout le monde soit rentré. Nos sociétés étaient dans une période assez faste sur le plan économique, tout allait bien, ce qui rendait le choc assez brutal. À l’heure où nous parlons, tout est encore fermé et les charges continuent de tomber. Nous ne savons pas encore comment nous allons procéder à la réouverture, mais il est certain que les relations humaines vont être plus importantes que jamais.
L’action la plus dingue, celle qui vous a mené le plus loin de votre zone de confort ?
Ce sont les rallyes Paris Dakar que je fais depuis dix huit ans et en particulier le premier. C’était très dur et je n’avais pas un sou. J’ai fini trente-troisième. J’ai été le chercher celui-là, j’ai dû trouver le budget et l’équipe… À l’époque, c’était une sacrée aventure, ça faisait rêver tout le monde.
Depuis, c’est une parenthèse que je m’offre chaque année. La course se déroule au mois de janvier, ce qui est une bonne période pour moi. C’est le seul moment où j’arrive à décrocher totalement de mon boulot. Je passe d’une machine à laver à l’autre. La concentration est la condition sine qua non puisque la moindre seconde d’inattention peut s’avérer fatale.
Je retrouve mon copilote, Gilles Pillot, mon binôme depuis le début de cette aventure et plus rien ne nous arrête. Le Paris Dakar, est une immense aventure humaine. Sans confort ni intimité, forcément, le vernis saute très vite. Dès la deuxième semaine, ça prend une dimension où il n’y a plus aucune représentation. Je sais que je n’ai pas non plus la même pression que ceux qui s’y préparent tout au long de l’année, mais nous terminons tout de même dans les dix premiers et c’est une énorme soupape de décompression pour moi.
Pour vous lancer dans une nouvelle aventure ou un nouveau sport, prenez-vous le temps d’effectuer une préparation spécifique ?
Avant je ne le faisais pas… Mais il y a deux ans, lors du Paris Dakar, j’étais parti sans réelle préparation et un peu à la dernière minute. Arrivé en Amérique du Sud, je me suis fait remonter les bretelles lors de l’examen de passage. Nous avons couru les quarante kilomètres du prologue qui détermine l’ordre du départ. Cette première étape ne s’est pas aussi bien déroulée que d’habitude. Gilles, optimiste, pensait que nous allions remonter le lendemain. Il avait raison, partis en vingt cinquième position, nous avons réussi à remonter et à finir neuvièmes. Mais j’étais rincé, dans un état de fatigue que je n’avais jamais connu et je m’en voulais. Alors, l’année suivante, j’ai décidé de mettre en place une préparation en m’accompagnant d’un nutritionniste et je pense que c’était une excellente décision. On a fini dixièmes. Devant nous, ce sont les meilleurs pilotes du monde.