
Philippe Fort, bonjour. Merci de nous accorder cette interview. Philippe, vous avez traversé la manche seul et en équipe, en avril, en juin et en août. Apparemment, vous n’avez pas froid aux yeux et relevez les défis les uns après les autres, alors, pour vous, nous avons préparé une interview givrée, du nom de votre équipe lors de votre traversée de la Manche en relais. Prêt ?
Allez, c’est parti !
Commençons au début de l’histoire, lorsque vous étiez petit, étiez-vous déjà givré ou aviez-vous peur du noir ou des monstres sous le lit ?
Je n’ai jamais eu peur des monstres sous le lit ni du noir. En revanche, je faisais toutes les bêtises que les enfants font, et surtout celles qui étaient susceptibles de mettre mon père en colère. Lui ne jurait que par les études et moi, je voulais faire du sport. Je me dressais contre lui et je me faisais attraper. Il me faisait peur, mais en fait, je l’affrontais.

Le moment où vous avez découvert le sens de l’expression : « garder la tête froide »
Très jeune, au moment où je suis parti de chez mes parents pour entrer à l’école militaire. Contre vents et marée… Mon père ne croyait pas du tout en moi, il cherchait à me dissuader de tenter le concours. Et moi, je suis allé au bout, je me suis rendu à Aix seul le jour de l’examen, et je l’ai réussi. Tout le monde était surpris, moi inclus d’ailleurs !
La dernière fois où vous avez été trop loin… un peu trop givré
Il y a cette fois où j’ai été sorti de l’eau… Inconscient ! C’était lors de ma première tentative de mile (1,60km) en eau froide. Je savais que j’étais fatigué mais je pensais que je pouvais aller au bout. Et en effet, je n’étais pas loin du mile, mais je ne pouvais arriver au bout. J’y suis arrivé lors de la compétition suivante.
Et il y a cette fois où j’ai abandonné avant la ligne d’arrivée. C’était lors de l’Iron Man en Malaisie en 2007. Il faisait une chaleur humide à laquelle je n’étais pas du tout habitué. Je suis allé au bout de l’épreuve de natation, puis de vélo, j’ai couru une vingtaine de kilomètres, et là, j’étais tellement mal que le moral a lâché. C’était foutu, je ne me voyais pas aller plus loin. Alors, je me suis posé, j’ai bu une bière avec ma famille qui était venue en supporter. J’ai commencé à récupérer et en voyant passer un de mes amis, je suis allé courir à ses côtés pour le soutenir et nous avons franchi la ligne d’arrivée… Sauf que j’étais déjà disqualifié. En fait, j’aurais pu marcher un peu le temps de récupérer et me remettre à courir, je serais arrivé au bout avec un petit chrono mais sans être disqualifié… C’est à ce moment que je me suis promis de ne plus jamais lâcher. L’autre morale de cette histoire est qu’il n’y a pas d’échec, on apprend de chaque expérience.
Le moment où vous avez réalisé que vous aviez une grande capacité face aux situations qui mettrait en arrêt cardiaque pas mal de monde
Lors de ma première expérience en Ice Swimming. C’était deux ans avant la traversée de la Manche. Pour la première fois, je nageais mille mètres dans une eau à cinq degrés. Nous étions très peu à réaliser cette performance : j’ai compris que je venais de faire quelque chose d’extraordinaire, au sens propre du terme.
Après, il y a eu ma première traversée de la Manche. Lorsque j’ai réalisé que je savais me préparer, dépasser l’environnement hostile de tous ceux qui parlent et sont négatifs et aller au bout de mon engagement.

L’action la plus dingue, celle qui vous a demandé toute votre énergie de givré
En fait, j’en vois quatre.
Le premier mile dans une eau à trois degrés. Après l’échec de mon premier essai, j’ai compris qu’il fallait que je prenne en considération le temps de récupération du corps dans ces épreuves.
La première fois que j’ai traversé la Manche, treize heures de natation et soixante kilomètres parcourus.
Ensuite, il y a eu la traversée des givrés, car même si nous étions quatre, le fait de nager une heure et de se reposer, sans avoir vraiment le temps de se réchauffer, puis de retourner dans l’eau froide, ça demande une énergie et un mental hors norme.
Puis le tour de la Corse à la nage en relais. Nous dormions une heure trente par nuit. Nous nagions aussi de nuit, dans l’inconnu et le noir total. Là, les capacités physiques et mentales sont totalement repoussées.
Nous le voyons à travers vos exploits physiques, mais vous avez le même « taux de rebond » dans votre vie privée. Apparemment, votre côté grivré est présent au quotidien dans votre vie et vous donne cette capacité incroyable à vous réinventer partout et tout le temps. Vous pouvez nous dire comment vous faites ?
(Rires) Je n’ai pas la recette… Disons que je suis mes envies, je saisis des opportunités. Peut-être parce qu’à l’âge de quinze ans, j’ai commencé à prendre ma vie en mains. Mais en fait, si je regarde en arrière, j’ai changé de vie tous les dix ans… En me séparant de la personne avec laquelle je partageais ma vie et en modifiant tout mon environnement. Comme si j’avais un besoin de remettre les compteurs à zéro.
J’ai besoin de tester des choses, de rencontrer des gens, de vivre de nouvelles expériences. Cet été, je pars pour Mayotte, pas pour des vacances, mais pour m’installer et commencer un nouveau boulot, une nouvelle vie. Comme d’habitude, tout le monde a cherché à m’en dissuader. Mais pour moi, c’est une opportunité à saisir.
La routine m’ennuie très vite alors, je suis probablement ouvert aux expériences que l’on peut me proposer et je saisis ce qui me fait envie, ce qui me challenge et me remet en marche. Et je me prépare.
Alors, justement, lors de vos préparations, intégrez-vous une dimension « psychologique »
Oui, bien entendu. Que ce soit pour partir vivre à Mayotte ou pour traverser la Manche, je prends en considération mon état actuel par rapport à l’objectif que je veux atteindre. Par exemple, si je ne sais pas nager, je ne vais pas tenter la traversée de la Manche d’ici six mois ! Je vais fixer mon objectif en tenant compte de la préparation nécessaire pour l’atteindre. Je me lance des défis que je peux relever.
Bien sûr, il faut s’attendre à des commentaires négatifs dès que l’on se lance dans des défis, quels qu’ils soient, et au fur et à mesure, on apprend à en faire une force. Certains vont changer d’avis lors de la préparation, d’autres non. Mais la bulle que l’on crée autour de soi dans ces moments se renforce au fil des étapes de préparation.
Pour moi, la décision se prend par rapport à mon envie et une fois que je suis décidé, rien ne m’arrête. Je me donne les moyens. Ma devise, c’est oser d’abord, doser ensuite. Mike Horn explique que la vie, c’est comme l’eau : l’eau stagnante pourrit, alors que les torrents communiquent leur énergie.
Surtout, le plus important est de ne pas minimiser son projet, il n’y a pas de petit projet !

Pouvez-vous nous décrire une de vos préparations ?
Je prévois mes préparations en fonction du défi. J’analyse chaque élément qui le compose pour m’y confronter et ne pas avoir de mauvaise surprise ou me mettre en danger le jour J. Par exemple pour la traversée de la Manche, il y avait le froid, mais il y avait aussi les courants, les vagues, les méduses… Mon plan de préparation me plaçait dans toutes les conditions qui pouvaient me permettre d’affronter ces épreuves. Ainsi, lorsqu’une méduse m’a piqué, je savais que les démangeaisons allaient passer, que mon corps était en mesure de le supporter et je pouvais continuer à nager en restant concentré sur mon objectif.
Je fais la même chose pour mon départ à Mayotte, je prépare mon arrivée là-bas pour qu’elle se déroule dans les meilleures conditions.
Pour vous, tout cela semble parfaitement naturel, mais est-ce que vous pourriez nous aider à retranscrire cet état d’esprit pour que tout le monde puisse s’en servir ?
- Avoir envie, avoir la volonté. Être acteur de sa vie.
- Se connaître ! Il y a toujours plus fort et toujours plus faible, il faut avoir la bonne image de soi. Sans se surestimer, ni se dévaloriser. Il faut bien se jeter à l’eau (sans mauvais jeu de mots).
- Toujours être positif, ne pas laisser de place à l’à peu près. Oui, il va y avoir des moments de faiblesse, il faut se dire qu’ils vont passer.
- Ne pas partir sur un défi impossible, trop loin dans le temps. Se fixer des objectifs intermédiaires et réalistes. Tout est dans l’équilibre.
- La préparation : décortiquer le défi et analyser toutes ses caractéristiques. S’entraîner sur chacun de ses paramètres. Et surtout, le placer dans le temps de façon juste ! Sans se presser, en gérant les étapes l’une après l’autre.
Merci Philippe !