Sarah Ourahmoune, bonjour et merci de nous accorder cette interview. Vous avez fait vos premiers pas dans la boxe dès vos seize ans, depuis, les combats ont été nombreux, vous avez plus de trente six mille abonnés sur Instagram…
Alors nous vous avons préparé une interview coup de poing. Prête ?
Allez, prête.
Commençons dans l’enfance. Petite, vous donniez déjà des coups de poing pour vous débarrasser des monstres sous votre lit ? Vous étiez bagarreuse ?
Alors non. Pas du tout. J’étais calme et plutôt introvertie, j’avais surtout peur de déranger. J’ai commencé à m’intéresser aux arts martiaux vers huit ou dix ans parce que ma mère était fan de Kung Fu. Pas avant.
Le moment où vous avez découvert le pouvoir de vos poings ?
Dès mes premiers pas sur le ring. J’ai ressenti tout de suite que la boxe me permettait de me connaître, de découvrir mes capacités, comme un moment de vérité qui montre où sont ses limites. Qui donne envie de se dépasser. L’entraîneur joue ici un rôle très important, parce qu’il prépare physiquement, et à travers cet entraînement, il y a aussi une grande dimension psychologique, entre observation, concentration, stratégie. La préparation est complète. Pourtant, on n’est pas forcément préparé au fait que l’on va se découvrir. Mais on va jusqu’au combat et contrairement à ce que l’on pourrait croire, la plus grande peur à ce moment là n’est pas d’avoir mal ni de se blesser mais plutôt d’être humilié, de perdre, de décevoir ceux qui croient en nous, de ne pas réussir à exprimer et faire ressortir tout le travail engagé. Parce que la préparation est un énorme travail, on passe des heures à préparer le corps et l’esprit, mais on ne sait pas contre qui on va se trouver sur le ring et on peut se retrouver bloqué face à un adversaire. Au championnat du monde par exemple, on est cinq cent, on passe à la balance, au médical et un tirage au sort nous dit que le lendemain, on va boxer contre untel. On a très peu de temps pour se renseigner, ne serait-ce que pour savoir si l’adversaire est gaucher ou droitier. Cette situation de se retrouver bloquée face à un adversaire m’est arrivée, c’était affreux, j’étais si stressée que j’avais des fourmillements dans les jambes, je me sentais clouée au sol, sans aucune énergie, je ne pensais qu’à ça, j’étais focalisée sur l’idée que mon corps n’allait pas me répondre. Comme une panne. Je me suis mise sur pilote automatique, tentant de me focaliser sur mes points forts, de reproduire quelques gammes d’enchaînements, de percevoir la voix de mon coach, pour me remettre dans le moment présent. La technique permet de reprendre le contrôle. Les automatismes développés et les points forts aussi. Par exemple, je sais que mon crochet du gauche est bon. Et qu’il peut sortir tout seul dès qu’il y a une faille dans le jeu de l’adversaire. Alors j’ai repris le dessus.
La dernière fois que vous avez eu peur du coup de poing d’un adversaire ?
Justement, lors de ma dernière panne en 2012. C’était l’année des Jeux de Londres. Une année importante puisqu’il me fallait rester numéro une française pour aller au Tournoi des qualifications olympiques. Une seule française pouvait s’y présenter. La pression était énorme pour moi. J’étais tout le temps stressée, avec une boule au ventre. J’ai enchaîné les tournois internationaux pendant plusieurs mois pour être prête à gagner ma place aux Jeux Olympiques. Un de ces tournois s’est déroulé en France. Physiquement, j’étais prête. Lors de l’échauffement et dans les vestiaires, j’étais au top, vraiment génialement bien. Mais dès que le gong a retenti, je me suis sentie totalement plombée, les jambes incrustées dans le sol, incapable de bouger. L’enfer ! J’ai lutté contre moi-même avec cette même sensation d’épuisement pendant les quatre rounds. À chaque fois que je revenais dans le coin, je demandais à mon entraîneur de me répéter que je devais me qualifier, que je me battais pour cela. Et lui, m’écoutait ! Alors qu’en fait, c’était tout le contraire qu’il me fallait. Je ne l’ai compris qu’après. Enfin, j’ai quand même gagné ce combat. Ensuite, je l’ai visionné, et en me regardant bouger sur le ring, j’ai compris que tout ça se passait dans ma tête, mes mouvements étaient rapides et fluides. J’ai donc compris à ce moment qu’il fallait que j’arrête de me focaliser sur l’attente de résultat, mais sur le plaisir du combat.
Les vingt ans de compétitions m’ont donc appris à gérer mes émotions, à accepter mes peurs. Sans la peur, sur le ring, je serais moins vigilante. La peur me permet de rester concentrée, de me dépasser. Et elle est d’autant plus importante que chaque combat est différent. Par exemple, lors des sélections pour les Jeux olympiques, qui pour moi étaient de l’ordre du rêve d’enfant, le travail sur le mental était fondamental, je risquais de me laisser déborder par mes émotions. Je devais alors me concentrer sur mes forces, ma stratégie, et monter sur le ring en restant vigilante.
Le meilleur de vos coups de poing, celui dont vous êtes vraiment fière
C’est à mon retour sur le ring après la naissance de ma fille. J’avais lancé ma boîte, j’avais trente deux ans, tout le monde me disait de ne pas y retourner, que j’allais me planter… J’ai écouté mon instinct. Changé mon environnement et commencé l’entraînement avec un nouveau coach, un préparateur mental. Je me suis entourée en fonction de celle que j’étais à ce moment de ma vie.
Bon, alors, à vous entendre, tout ça a l’air si simple… Mais dans la vraie vie, que faut-il faire pour ne pas avoir peur de la bagarre et du coup de poing que l’on peut donner ou recevoir.
Comment pourrait-on retranscrire ces actions dans la vie de tout un chacun ?
Je pense qu’il faut avant tout accepter les peurs. En avoir conscience. J’ai peur, en tant que maman, en tant qu’entrepreneur, en tant que sportive. Mais j’y vais, j’ose. La peur est là pour nous aider à rester vigilant et nous stimuler, dans nos envies et nos intuitions, il faut voir cette émotion comme quelque chose de positif. Ne pas chercher à l’étouffer et se demander : qu’est-ce que je risque ? Mettre ça dans la balance avec le plaisir de se lancer. Et surtout, s’entourer. Seule, je ne serais arrivée à rien. Lorsque j’ai mis en place mon équipe, j’ai cherché à m’entourer de personnes positives, qui croyaient en moi et en mon projet et qui étaient prêtes à tout donner pour gagner. Les victoires remportées le sont de manière collective. Cet entourage est indispensable, car tout au long de la préparation, il y a énormément de périodes de doutes, on prend des claques, on tombe, et on a besoin de pouvoir se tourner vers quelqu’un qui est impliqué dans le projet et qui sera capable de nous dire qu’on va y arriver. Chacun a son rôle, et chaque rôle est important, de l’entraîneur à celui qui est là pour tendre la gourde sur le ring, car si elle n’est pas au bon endroit au bon moment, la concentration est perdue et chaque seconde d’inattention peut représenter un danger.
Dans ma société, c’est la même chose. La solidarité, la collaboration, les partenaires, le réseau, c’est cela qui nourrit.
Donc, si nous résumons :
1. Accepter ses peurs et se demander ce que l’on risque
2. S’entourer de gens qui joueront chacun un rôle dans le projet
3. Se préparer et connaître ses forces
4. Oser
Merci Sarah !
Cette interview a été menée par téléphone, lors du grand confinement mis en place pour lutter contre la pandémie du Coronavirus.