Cette interview a été réalisée avant le décès de la merveilleuse Super Mamika, à l’âge de 102 ans. Nous présentons nos affectueuses condoléances au petit-fils qui a su faire de sa grand-mère une vedette internationale. #SuperMamikaForever.
Et nous souhaitons la bienvenue à Poignée de porte, qui est né le 16 mars dernier. #PoignéedeporteGoldberger
Sacha Goldberger, bonjour. Merci de nous accorder cette interview. Vous avez été publicitaire pendant 12 ans en tant que directeur artistique, vous avez publié des livres. Vous avez repris des études à l’école des Gobelins pour devenir photographe. Vous avez réalisé plusieurs séries de photos dans lesquelles vos modèles deviennent des super héros, dont votre grand-mère que tout le monde connaît désormais sous le nom de Mamika, alors, pour vous, nous avons préparé une interview #Super. Prêt ?
Oui ! Super !
Alors, commençons au début de l’histoire, lorsque vous étiez petit, étiez-vous déjà baigné dans la culture des super héros ? Était-ce pour déjouer vos peurs d’enfant ? Est-ce que vous rêviez d’un super-pouvoir en particulier ?
Non, je n’ai découvert les super héros qu’à l’adolescence. En revanche, là, ça a été un choc. Je m’y suis intéressé lorsque j’ai compris que la plupart des super héros avaient été créés par les juifs d’Europe de l’Est pour raconter leur histoire. Le premier que j’ai découvert était Batman, puis Wonder Woman et Hulk. À la maison, il n’y avait pas de fanzine, ce n’était pas une obsession. Ce qui ne m’a pas empêché d’en faire une série photographique plus tard. Car finalement, avec le temps, ils sont un peu devenus des madeleines de Proust, j’ai dû laisser infuser pour trouver du plaisir à explorer de nouveau tout cet univers. Batman restant mon préféré, en particulier le Batman des années 1970, avec sa Batmobile. J’ai en mémoire cette scène totalement kitsch de Batman dans laquelle il est sur une échelle suspendue à un hélicoptère conduit par Robin et il se fait attaquer par un requin… Les effets spéciaux n’étaient pas vraiment au point à l’époque ! Mais graphiquement, c’était superbe. Les costumes, les looks… J’y ai puisé mon inspiration lorsque j’ai créé mes personnages, même si j’ai commis quelques méfaits en mélangeant le Robin des années 1970 avec le Batman des années 2000, ce qui doit hérisser le poil des puristes.
Pour revenir à votre question sur les peurs d’enfant : je ne faisais pas appel aux super héros pour me rassurer. J’avais peur de tout et de la mort en particulier, mon imaginaire très riche n’était pas là pour apaiser mes peurs. Ma méthode ? Je demandais à mon père de poser près de mon lit toutes les armes que je possédais et je me tournais face au mur pour ne pas voir les horreurs qui n’allaient pas manquer d’entrer dans ma chambre.
Le moment où vous avez décidé de transformer votre grand mère en super héroïne, la célèbre et adorable Mamika. C’était pour montrer différemment les affres de la vieillesse, pouvez-vous nous en parler ?
L’idée est née au moment où elle a commencé à montrer quelques défaillances. Elle perdait ses repères et oubliait des petites choses. Je voulais dédramatiser, donner un peu de légèreté, alors elle a commencé à poser, la main dans un sandwich, en train de sécher un chien avec un sèche-cheveu, à l’envers sur une moto ou encore un godemiché en guise de téléphone. On mélangeait le réel et l’imaginaire. On n’était pas encore dans l’univers des Super-héros, mais c’était les débuts avec ma grand-mère comme modèle. Elle s’amusait, en redemandait, et toute mon équipe jouait le jeu.
Lorsque WAD m’a demandé une série de photos, les choses ont commencé à se corser, elle refusait qu’on la coiffe – seul son coiffeur peut toucher à ses cheveux – ne voulait pas porter le foulard rose parce qu’elle ne le trouvait pas assorti au rose de la tenue… Plus on shootait et plus elle devenait difficile. En particulier avec sa coiffure qui n’a pas changé depuis sa jeunesse ! C’est là que le casque a fait son apparition ! Et les Super-héros aussi. J’ai travaillé avec mon équipe pour trouver le bon décalage, créer un choc visuel avec les vieux juifs d’Europe centrale, jouer avec l’absurde, comme cette image où elle est sort du toit ouvrant de la voiture avec la cape à l’horizontale, ou celle où elle vole accrochée à son tapis de course. Au croisement entre la réalité et l’imaginaire.
Remontons un peu dans le temps : quel déclic a provoqué la bascule de votre rôle de Directeur artistique en agence pub à photographe ?
Un enchaînement d’événements assez douloureux : la mort de mon père, après un cancer et une séparation amoureuse assez douloureuse. Je n’acceptais pas l’idée. Je voulais récupérer ma partenaire, alors j’ai commencé à réaliser une déclaration d’amour chaque jour. Une photo et un texte que je collais dans les larmes. Arrivé à 50 pages, je l’ai appelée et je lui ai offert le livre. Elle est revenue. Je trouvais cela un peu facile d’arrêter là, alors j’ai continué à lui offrir des pages que je cachais dans l’appartement chaque jour. Quand j’ai atteint les 200 pages, j’en ai fait un livre photos. Il s’est vendu à plus de 130 000 exemplaires. C’était un tel succès que l’éditeur m’en a demandé un deuxième. Je suis allé voir un ami photographe qui m’a suggéré de travailler avec un Rolleiflex pour la suite. J’ai fini par faire trois livres, dont deux avec des photos argentiques. Au final, la transition s’est faite en douceur. La photo semblait être un moyen assez naturel d’exprimer mes idées.
Dans les faits, ça ne s’est pas produit en 24 heures : j’ai continué à être DA en développant l’activité photo, puis j’ai fait des photos de pub en travaillant en parallèle sur des projets artistiques. Avec beaucoup d’heures de travail pour arriver à un résultat satisfaisant. Surtout que pour réaliser les différentes séries, j’investis des sommes assez importantes. Comme pour celle sur laquelle je travaille actuellement autour d’Hitchcock, dont je regardais les films religieusement dans ma jeunesse. Pour cette série je suis allé en repérage sur l’ile de Batz pour le cadre.
La transformation la plus folle, celle qui a demandé le plus d’imagination et d’artifices
C’est une série qui n’est pas encore sortie : Louis CXIV. Louis XIV et sa cour comme point de départ pour imaginer leur propre futur. Louis XIV, Marie-Thérèse d’Espagne, le Cardinal Mazarin, la Marquise de Montespan ou encore Henriette d’Angleterre font partie de l’aventure. Il y a aussi un D2R2 en décalage, quelques scaphandres, du bois, du verre, une imagerie à la De Vinci. Tout est construit à partir de l’imagination. L’équipe entière a travaillé en partant de la vérité historique établie avec l’aide d’une spécialiste de l’histoire de France, pour se projeter et redessiner les arbres, les coiffures, les costumes, les décors… On a embarqué Amira Casar, Mathieu Chédid, Pierre Richard, Louise Bourgouin et Aurélie Dupont, on est en train de travailler à l’élaboration d’un parfum. Mathieu Chédid a composé des morceaux, nous avons aussi réalisé des films pour montrer l’artisanat déployé sur le sujet entre les objets, les coiffures et les costumes. Pour vous donner une idée, la coiffe que porte Louise Bourgouin a demandé deux mois de travail et nous sommes 65 à travailler autour du projet. Nous avons beaucoup appris les uns des autres.
Là encore, comme dans la série Secret Eden, il y a une confrontation. Une histoire qui peut être lue de plusieurs manières. Deux facettes reliées et que chacun peut assembler ou pas, selon sa propre lecture. Un peu comme dans les photos de Hopper, qui laissent chacun imaginer ce qui se passe avant et après l’instant saisi.
Dans AH! Magazine vous avez créé des rencontres historiques et inventé d’autres héros au croisement entre Betty Page et Rosa Bonheur, ou George Sand et David Bowie, Jean de la Fontaine et Kiss… Vous nous aviez fait voyager dans l’histoire dans votre série Flemish Studies, au paradis dans les diptyques de la série Secret Eden, au cœur de la famille à travers Meet my mum… et à chaque fois, on peut parler de super-production, du financement au repérage, de la préparation au shooting… Il doit y avoir une sorte de vertige avant de démarrer de tels projets, comment se met en place la feuille de route ?
Pas vraiment, les choses se mettent en place progressivement et en équipe. Tout vient de cette exigence de qualité qui est celle des agences de publicité, avec des superproductions et un travail en équipe. Tout cela fait partie de moi, de ma formation. Un travail de qualité n’est pas envisageable autrement. Et même si c’est moi qui représente la partie visible de l’iceberg, chacun joue un rôle et est indispensable pour que l’histoire existe. L’enthousiasme naît de cet engouement autour de ce que l’on a à raconter. Alors parfois, pour mes séries perso, je me plante dans le budget, parce que je me laisse embarquer et me retrouve avec six bagnoles au lieu de deux ou trois… parce que sur une image, six voitures c’est toujours mieux… Mais le plus important reste le résultat et tout doit converger vers le même objectif. Comme une obsession ou une compulsion. Nous sommes tous aussi passionnés et le plaisir est à la base de notre fonctionnement.
Tout cela demande de la patience, ce sont des projets qui se réalisent sur un temps assez long, et ce n’est pas forcément un long fleuve tranquille, avez-vous mis en place une méthode pour rester zen avec vos équipes ?
Non. Pas de méthode. J’alterne blagues et ordres (légers), je sais que tout ça prend du temps, réclame beaucoup d’énergie, ce serait invivable sans bonne humeur. Sur les shootings, je parle beaucoup, parce que je sais que c’est important pour que le modèle ne soit pas focalisé sur le déclencheur ou sur le bruit qui règne sur les plateaux, alors je fais en sorte de l’occuper avec des histoires et en général, j’y parviens assez bien. Mais moi, je ne suis pas zen… Jamais. Jusqu’à la fin. De la préparation au shoot. Je commence à respirer quand le résultat commence à se voir, en post-production. Mais je gère…
Alors, nous arrivons à notre dernière question. Si vous deviez donner cinq conseils à nos lecteurs pour qu’ils se sentent forts comme des super héros, quels seraient-ils ?
- Travailler. Préparer pour laisser le moins de place à l’imprévu..
- S’entourer. Constituer une famille de travail, avec les mêmes exigences et le même état d’esprit que soi.
- Tourner le dos et ne pas regarder. Comme quand j’étais petit, finalement, faire abstraction de ses angoisses et y aller.
- Visualiser. Se projeter dans ce que l’on veut obtenir, le matérialiser au mieux pour oublier tout ce que ça demande d’énergie et de moyens.
- Prendre du plaisir. Ce sera la force motrice du projet.