
Alban Ragani, bonjour. Merci de nous accorder cette interview. Vous êtes à la tête du groupe SECURITEAM, leader de la sécurité en Bretagne et patron du Medef Morbihan, vous avez gravi les échelons tout seul, ou presque.
Alors pour vous, nous avons préparé une interview Far ouest. Prêt ?
En effet, je n’étais pas vraiment tout seul, puisque tout ce que j’ai fait, je l’ai réalisé avec mon frère Cédric, comme un binôme.
Commençons au début de l’histoire, lorsque vous étiez enfant, étiez-vous déjà de ceux qui relèvent les défis et sont chefs de bande ?
Je ne me vois pas du tout comme un chef de bande. Cela dit, lorsqu’on a grandi dans les quartiers « sensibles » de la région parisienne, pour s’en sortir, il faut forcément un peu de culot. Nous, nous avons été élevés par notre mère et notre tante qui travaillaient dur pour nourrir la famille et n’étaient pas forcément disponibles et attentives à tout ce que nous faisions. Elles nous aimaient et nous le savions, mais elles n’avaient pas vraiment le temps de le montrer. Elles nous ont inculqué les valeurs qui nous ont guidé tout au long de notre parcours : le respect, la bienveillance et la loyauté.
Cela dit, il a fallu être autonome très tôt et prendre les choses en main pour avancer. Pour ne pas rester devant la porte comme le disait mon père qui nous a appris à transformer nos faiblesses en force. Donc nous n’avons pas été à l’école longtemps. Mais même si le frigo n’était pas toujours plein, nous n’étions pas malheureux, nous avons grandi comme ça, sans s’en rendre vraiment compte.
Le moment où vous vous êtes découvert une âme de dirigeant ?
Vous connaissez le syndrome de l’imposteur ?… (rire). On ne naît pas entrepreneur, mais on le devient parce que chaque jour, on a un cap à maintenir pour son entreprise, pour ses salariés. Je ne me suis jamais dit que je voulais être chef d’entreprise, je le suis devenu en partie parce que je ne trouvais jamais ma place entre la hiérarchie et l’autorité. Ensuite, ce sont les opportunités de la vie qui m’ont mené là où je suis.
L’histoire, c’est que je sortais de l’armée et vivais à Paris. Je travaillais à l’usine, je faisais des petits boulots. Un jour, je vais voir mes parents en Bretagne pour un week-end. Mon père avait vu qu’un hôtel-restaurant près de Douarnenez était à reprendre. Nous sommes allés rencontrer les propriétaires et nous sommes repartis de là en nous disant que ce serait super. C’est ma banque qui m’a gentiment ramené à la réalité « réglez votre découvert, on verra après… ». Quelques temps plus tard, le propriétaire de l’hôtel est décédé, alors nous avons fait l’aller-retour de Paris pour les obsèques, question de respect. Le lendemain, la fille du propriétaire m’appelle pour me remercier et me propose de venir avec moi lors d’un prochain rendez-vous avec ma banque…. Et c’est elle qui a bloqué la somme en caution pour que j’obtienne le prêt. Incroyable, non ? Voilà comment, à 22 ans, je suis devenu propriétaire d’un hôtel restaurant à Plomodiern ! Un banlieusard en Bretagne, avec la tête d’un gamin de 16 ans… Ce n’était pas si simple de se faire accepter par les gens du coin, malgré un caractère bien trempé. Bon an, mal an, j’ai gardé cet hôtel pendant 7 années, en vivant des moments aussi difficiles qu’incroyables.
Pour moi, qui avais grandi dans la difficulté, cet hôtel était un cadeau du ciel. Puis, je commençais à sentir que c’était la fin de l’aventure et j’ai rencontré la mère de mes enfants, alors, j’ai décidé de vendre l’hôtel. Et mon frère a eu l’idée de monter une entreprise de sécurité. Je me suis embarqué dans l’aventure avec lui. Notre binôme était né.
La dernière fois que vous avez eu peur de prendre des risques pour vous lancer dans une aventure ?
Jamais. Avec mon frère, nous n’avons jamais eu peur. Quand on se lance des défis, on y va, et avec lui, c’est un par semaine. Si nous n’y allons pas, ce n’est pas par peur. Le dernier défi que je n’ai pas relevé, ce sont les élections municipales. Parce que je ne connaissais pas le milieu et que je ne me sentais pas d’affinités particulières avec les fonctions que l’on m’offrait. Je sais que la probabilité d’être assis là où je suis aujourd’hui, en venant des quartiers d’où je viens, est de 1%. Ça, j’en suis fier, mais je ne me sens pas appartenir à ce milieu. Surtout qu’à en vouloir trop, la réussite se fait souvent au détriment de la vie personnelle. Il y a deux ans, j’étais dans une phase d’ascension, tout me réussissait, j’ai été pris d’une espèce de boulimie, je disais oui à tout, j’avais des propositions de toutes parts, comme d’entrer sur une liste aux élections municipales à Lorient. J’ai même repris mes études. Ma fille rentrait en première et me disait qu’elle avait déjà fait plus d’études que moi, sans avoir un diplôme… Cela a piqué mon orgueil de papa et j’ai entrepris un diplôme universitaire sur la gestion de la sûreté et de la sécurité des espaces ouverts au public. J’ai obtenu un équivalent Master sur un an en partant toutes les deux semaines à Paris. C’était beaucoup. Trop. Alors j’ai pu dire non à la politique. Je ne pense pas être fait pour ce milieu, je suis sûrement trop entier, impulsif et direct, c’est ce qui m’a mené là où je suis, je ne peux pas perdre cette facette de ma personnalité. Alors peut-être que c’est de ça que j’ai peur. De me perdre et de perdre à nouveau ce que j’ai de plus précieux.
Votre aventure la plus mémorable, celle qui vous a demandé le plus de pugnacité ?
L’armée. Je me suis retrouvé dans des endroits… J’étais affecté au régiment de marche du Tchad à Montlhery. C’est un camp semi-disciplinaire où l’on « forge les hommes ». Je ne sais pas trop comment j’ai fait, mais j’ai su poser mon cerveau et faire ce qu’on me demandait de faire. Nous sommes partis pour la Guyane, c’était une expérience forte, dure, j’avais 18 ans et je me suis retrouvé en plein milieu de la forêt équatoriale, alors que j’avais toujours vécu dans le béton. Le choc était énorme. C’est ce qui m’a demandé le plus d’efforts d’adaptation.
Même aujourd’hui, en tant que président du Medef, le petit mec de la cité que je suis se demande ce qu’il fait là. Toujours ce syndrome de l’imposteur… Mais si je ne m’adapte pas, les autres s’adaptent à moi, alors qu’en Guyane, on n’avait pas le choix. Je suis parti avec des gamins immatures et je suis revenu avec des hommes. Ça a duré 8 mois, c’était intense et moralement difficile. Un véritable stage de survie, façon Koh Lanta. Ces moments, même aujourd’hui, avec le recul, sont des souvenirs totalement fous.
En tant que dirigeant, vous avez des décisions à prendre, du personnel à manager, et des prises de parole pour le MEDEF, avez-vous acquis une méthode pour vous préparer ? Pouvez-vous nous décrire cela ?
Intuition et instinct ! Je fonctionne au feeling. Je suis quelqu’un de sincère, je ne parle que si je connais le sujet et j’en parle avec conviction et détermination. Si le sujet m’intéresse et que je suis convaincu de ce que j’ai à raconter, j’y vais. Rien ni personne ne m’arrête. Je sais de quoi je vais parler et j’ai peu de notes. Je m’adapte en fonction de ceux qui sont en face de moi. Je fais court, j’aime l’action, je ne tourne pas autour du pot. Les AG passent vite, pas de bla bla, Il y a peu, avec un coach, Isabelle Bilos, j’ai appris la respiration pour me poser avant de me lancer. Et c’est resté, à chaque fois, je me dis « Respire, Bilos »…
Alors il nous reste à vous poser la question finale, celle qui va permettre à chacun de se projeter et de dépasser ses peurs : quels sont les cinq conseils que vous donneriez à quelqu’un qui veut se lancer dans l’entrepreneuriat ?
1 – Se poser les bonnes questions. Ne pas se lancer pour les mauvaises raisons.
2 – Se mettre en situation, se projeter… Par exemple, lorsqu’on a démarré, pendant 3 ans, on était deux pour la surveillance d’un magasin. On travaillait du lundi au samedi, notre comptable, c’était notre mère qui était en Bretagne. Est-ce que je l’aurais fait si j’avais imaginé que ça allait prendre autant de temps ?
3 – Demander de l’aide. Notre force, c’est de savoir qu’on ne sait pas tout, loin de là. Alors on parle, on ne se retient jamais de poser des questions, on s’entoure, on cherche les associations. Ici, il y a l’association APAISA qui met à disposition une cellule d’aide avec des psychologues pour aider à sortir du mal être ou de la dépression. Il n’y a pas de honte à se sentir seul et dépassé lorsqu’on monte une affaire.
4 – Un peu de folie quand même. Pour voir la chance et savoir la saisir. Et avoir confiance en soi, rester intuitif et laisser parler son feeling. Si quelqu’un me dit « j’ai envie de le faire, mais je n’ose pas », je réponds sans hésiter « mais vas-y, lance-toi, si tu le sens, fais-le ». Il vaut mieux vivre avec des remords qu’avec des regrets…
5 – Choisir ses partenaires. Ceux en qui on peut mettre toute sa confiance sans être déçu. Moi, j’ai la chance d’avoir mon frère et de ne jamais m’embrouiller avec lui, même si je le vois rarement en dehors du travail.