
Arnaud Bovière, bonjour. Merci de nous accorder cette interview.
Vous avez traversé une partie de votre enfance et de votre adolescence à l’hôpital, vous avez étudié à la Sorbonne et obtenu un master dédié aux techniques éditoriales en 2015, votre première pièce de théâtre Aux fleurs du temps, écrite à dix-sept ans, a rencontré un succès phénoménal, en particulier grâce à vos publications sur LinkedIn et les réseaux sociaux. Comme une évidence, vous poursuivez votre parcours entre écriture et communication et fondez Arnaud & Alexis, une agence de communication pas comme les autres. Dans votre roman La couleur de la résilience, vous racontez votre parcours si atypique, alors nous vous avons préparé une interview #Encouleurs, prêt ?
En effet, depuis l’une de mes crises d’épilepsie, j’ai perdu la vision en couleurs. J’avais 18 ans. Depuis, j’ai appris à vivre dans un monde en Noir et Blanc.

Reprenons au début de l’histoire. Lorsque vous étiez enfant, étiez-vous déjà prêt à affronter vos peurs et à mettre des couleurs là où il en manquait ?
J’étais comme tous ceux de mon âge, je rêvais de devenir pompier ou footballeur (rires). J’écrivais déjà beaucoup depuis le CM1 ou CM2, je montais des clubs de lecture et d’écriture. Je me souviens que j’écrivais au crayon à papier sur des feuilles à petits carreaux que je numérotais. Je gardais toutes ces pages que je glissais dans une pochette plastique, j’écrivais parfois jusqu’à 50 pages, dès mes 10 ans. En dehors de cette particularité, j’étais tout à fait comme les autres, souriant, heureux et sans peurs particulières…
Le moment où vous avez découvert le pouvoir des couleurs, ce qui peut aussi s’appeler la résilience, pouvez-vous nous en parler ?
Cela ne s’est pas fait en une étape, mais plutôt à travers une succession d’éléments.
D’abord, il y eut les rencontres. Notamment dans les hôpitaux. Dans cet environnement, on réalise rapidement qu’il est compliqué d’échanger avec la famille et les proches. Et à 10 ans, c’est bien pire encore : les copains d’école sont à des années lumière en terme de préoccupations. Les parents culpabilisent et sont un peu perdus… Les proches s’éloignent à mesure que ceux que l’on croise dans les couloirs de l’hôpital se rapprochent. Parce que ceux qui partagent notre quotidien, ce sont les autres malades, dont on a toujours l’impression qu’ils sont atteints de maladies plus grave que la nôtre. Ils sont les seuls à comprendre en profondeur nos ressentis. Et l’on se retrouve à se battre ensemble, les uns pour les autres, ce qui rend les choses plus faciles.
Ensuite, il y eut l’écriture de la pièce de théâtre que j’ai tenue secrète. J’écrivais lorsque j’étais à la Maison de Solenn, Comme un hommage au monde de l’hôpital et à tous ceux avec lesquels j’ai partagé mon quotidien. Une fois sorti de cette longue parenthèse médicale, j’ai suivi le cursus du Master 2 en lettres modernes à la Sorbonne. C’est là que ma tutrice — éditrice chez Gallimard – a lu et apprécié ma pièce. Elle m’a conseillé d’en faire quelque chose. Je nageais en plein paradoxe : je n’avais aucune envie de me confronter de nouveau au monde médical mais je voulais que ma pièce soit vue. À travers ce texte, je voulais que les gens comprennent que lorsque l’on est hospitalisé sur une longue période, même si c’est très dur, il y a tout de même de la place pour de bons moments et de belles rencontres avec lesquelles le lien est d’une intensité toute particulière. À la même période, un de mes amis d’enfance, comédien et metteur en scène, cherchait un projet à lancer. Grâce à Gallimard, je suis entré en contact avec le cours Florent. En octobre 2015, la pièce a été jouée au Théo-Théâtre, dans une salle de 45 places, sur 5 ou 6 dates. La salle était comble, juste avec le bouche à oreilles. Le Théo a joué les prolongations. On m’a conseillé d’en parler sur les réseaux sociaux et en particulier sur LinkedIn où le monde médical était déjà bien représenté. Nous étions en 2015 et les réseaux n’avaient pas l’ampleur qu’ils ont aujourd’hui et surtout, je n’y étais pas vraiment présent ni à mon aise, je devais aller deux fois par semaine sur Facebook… J’ai donc créé ma page sur LinkedIn, contacté une cinquantaine de médecins et provoqué un véritable effet boule de neige : non seulement beaucoup d’entre eux ont été sensibles à mon histoire et ont répondu présent, mais ils ont à leur tour diffusé l’information, au point que LinkedIn m’a contacté et a communiqué sur la pièce à travers ses propres membres. Moi, qui souffrais de phobie scolaire et sociale, je me retrouvais sous les spots, à raconter ma vie. Je ne réalisais pas du tout l’ampleur de ce que j’étais en train de provoquer. La pièce s’est jouée près de 250 fois. Plus une centaine de dates dans les hôpitaux et des lectures. Un partenariat entre Les pièces jaunes et l’éditeur s’est mis en place et mes droits d’auteur ont été en partie utilisés pour rénover des chambres à l’hôpital Necker et créer des ateliers thérapeutiques.
Ces ateliers tiennent une place cruciale dans l’accompagnement des enfants. C’est une fenêtre sur la vie, un moment à part qui leur permet de penser à autre chose qu’à la maladie. Des artistes d’univers différents interviennent et au-delà de la représentation, ils permettent aux enfants de donner vie à quelque chose, que ce soit des tours de magie, un poème ou une chanson. Cette possibilité de créer fait l’effet d’une catharsis. Lorsque j’étais à l’hôpital, Marcel Rufo était intervenu. Dès notre première rencontre, il a joué un rôle déclencheur pour moi et il a occupé une place immense dans ma vie. Là où mes parents étaient impuissants, perdus, là où les médecins n’avaient pas la place pour l’affect, il était là et en tant que pédopsychiatre, il posait des mots et pouvait me rassurer ainsi que mon entourage. Il était là lors de la mise en place du processus qui a conduit à ma guérison, intégrant l’art-thérapie en complément des traitements médicamenteux. C’est fondamental lorsqu’on est longtemps hospitalisé et pris en charge par le corps médical de sentir que l’on est partie prenante dans le processus de guérison. Avec l’art thérapie, c’est le cas. Marcel Rufo avait bien compris que j’avais un potentiel à exploiter dans le domaine de la création et il m’a encouragé à aller vers la magie : une manière de me tourner vers les autres pour contrer ma phobie scolaire et sociale. L’écriture, qui était naturelle pour moi, me ramenait à l’intérieur. La magie, c’est du storytelling, si le tour n’est pas accompagné par son histoire, il n’a aucune ampleur. Pendant un an, j’ai testé mes tours de magie, en close up, en passant entre des tables, devant mes parents. Au début, je ne prononçais pas un mot et petit à petit, je me suis pris d’affection pour cet art qui est devenu une passion. J’ai fini par ressentir le besoin de partager avec l’extérieur. Et c’était grâce à Marcel Rufo.
La dernière fois que vous avez eu peur de poser des mots sur une idée et de lui donner sa couleur ?
Sans hésitation, c’est lorsque j’ai passé mon Bac. L’école avait été entre parenthèses durant la période où j’étais hospitalisé, les années passaient sans aucune amélioration. Et pendant tout ce temps, le message que l’on me communiquait était que ma santé était bien plus importante que ce que j’aurais pu apprendre à l’école. Il est vrai que certains jours, j’étais inconscient plus longtemps qu’éveillé… Aussi, lorsque je suis retourné en cours, je ne voyais pas du tout comment j’allais renouer avec ma scolarité et obtenir mon bac au bout du compte. Il se trouve que j’ai passé mes trois années de lycée au Maroc dans d’excellentes conditions. Pour l’examen, j’étais seul dans une salle, sans surveillant. Au début de chaque épreuve, je faisais une crise, je rédigeais dès que je revenais à moi, puis j’avais une nouvelle crise, je réécrivais… Ce n’était pas simple, mais le pire était encore à venir, puisque j’ai dû passer les épreuves orales du rattrapage. Le matin, c’était la philo et l’après-midi, l’histoire géo. Les deux professeurs étaient adorables. La philo s’est à peu près bien déroulée. Mais lors de l’épreuve d’histoire géo, j’ai senti la crise arriver, je commençais à être pris de convulsions, j’essayais de me concentrer sur le sujet qui était la mer Méditerranée, de formuler une quelconque réponse. Le prof m’a dit que si je ne disais rien, il allait être obligé de me mettre un zéro. Ça m’a stimulé : j’ai dit que la mer Méditerranée n’était pas loin de Marseille. Il m’a demandé de lui décrire le professeur de philo pour qu’ils puissent voir ensemble comment faire en sorte que j’obtienne le bac. Je lui ai répondu et j’ai immédiatement perdu connaissance. Je suis revenu avec ma mère pour découvrir les résultats, ils avaient formé une haie d’honneur pour m’accueillir – jusqu’à ce jour, je n’avais jamais réussi à franchir les grilles du lycée sans m’évanouir – et me remettre mon diplôme.
Une fois de retour en France, à Paris, le bac a été ma clé d’entrée à La Sorbonne. Je pouvais enfin me consacrer à ce que j’aimais. Puis, est arrivé l’ouragan de la pièce de théâtre. Et, alors que j’étais encore incapable de prendre la parole devant qui que ce soit, on m’a proposé d’aller à La Villette raconter mon parcours devant 850 personnes. J’y suis allé, et dans la ferveur de ce qui s’était passé, j’y suis arrivé. J’ai réalisé que la vague avait emporté avec elle les derniers relents de la maladie.
En tant que spécialiste du storytelling sur les réseaux sociaux et dans tous les formats, peut-on parler d’une méthode ? Pouvez-vous nous décrire cela ?
Pour moi, tout ça s’est fait assez naturellement. J’ai commencé avec ma pièce de théâtre, dont j’avais raconté le résumé sur les réseaux, puis à l’oral auprès de ceux qui en avaient entendu parler, ensuite avec de petits groupes, avant de prendre la parole en public. Au début sur les réseaux, je faisais comme on m’avait dit de faire, puis je me suis laissé emporter et j’ai fait ce qui ne se faisait pas du tout : j’ai raconté ma vie dans un post.
Ensuite, j’ai suivi le courant : ceux qui me suivaient sur LinkedIn et qui étaient venus voir la pièce m’ont demandé de faire la même chose pour eux. Je venais d’obtenir mon Master 2 et je me suis retrouvé en tenaille entre mon envie d’avoir un poste chez Gallimard et ces entreprises qui me proposaient de faire quelque chose d’intéressant. Je n’ai pas réfléchi très longtemps et j’ai proposé d’accompagner ces entreprises pour trois ou quatre mois, puis j’ai découvert les humains derrière ces marques et ces sociétés. Je mettais les dirigeants en avant dans leurs pages personnelles, je les aidais à tisser l’histoire de leur quotidien à travers leur personnalité. Cette mise en lumière leur offrait une visibilité et des retours exceptionnels. C’est ainsi que s’est créée l’agence Arnaud & Alexis, spécialisée en Social Selling et Community Management.
Alors il nous reste à vous poser la question finale : quels sont les cinq conseils que vous donneriez à quelqu’un qui veut se dépasser et dépasser ses peurs ?
1- Aller vers des personnes qui ouvrent des horizons : c’est ainsi que l’on s’enrichit. Avec LinkedIn, aujourd’hui, c’est facile de proposer à des gens qui travaillent dans des univers totalement différent d’aller prendre un café. C’est comme ça que l’on va pouvoir écrire une nouvelle pièce de théâtre un nouveau livre, signer un contrat…
2- Lire : en lisant 10 pages par jour, on découvre de nouveaux univers,
3- Poursuivre ses rêves : mettre en place ce qu’il faut pour atteindre ses objectifs. Par exemple, à l’agence, on demande à toute les équipes de citer le client qui les fait rêver et on prépare un plan pour le séduire,
4- Considérer l’échec comme une force : chaque tentative doit être analysée de manière à voir ce qui a conduit à l’échec. Ainsi, il se transforme en force,
5- Envisager une pratique artistique : écriture, peinture, magie, musique… À travers ces pratiques, on peut se surprendre soi-même et c’est indispensable.